Biblio (3) : l’Elégance du Hérisson de Muriel Barberry
La dernière fois que vous avez rencontré votre concierge qu’avez-vous pensé d’elle ? Avez-vous pu imaginer qu’elle lise dans le texte Kant, Husserl et autres grands penseurs occidentaux ? Dans les confins de sa loge, que cachent les bruits que rejette une télé allumée en continu pour tromper le peu de suspicion de votre immeuble ? Alors que vous l’imaginez tapie derrière « les feux de l’amour » ou toute autre série télé insipide, serait-elle en train de revoir les classiques du cinéma japonais ? Si on habite Paris il peut s'agir de notre concierge, mais ces questions sont transposables ailleurs et à d'autres: aux femmes de ménages et autre personnel qui il faut l'avouer traversent notre existence sans que nous les remarquions vraiment.
Si vous habitez le 7 rue de Grenelle dans le très chic quartier arrondissement de Paris, alors il ne vous a jamais traversé l’esprit que votre concierge que vous prenez de haut et sur lesquels vous avez des a priori puissent être un être humain doué d’une intelligence et d’une culture rares. Voilà un livre découvert au hasard d’une conversation avec un inconnu (ne vous imaginez rien) et qui m’a fait autant réfléchir sur moi-même et rire sur la nature humaine, que je vous recommande chaudement. Muriel Barberry signe là un roman fort ; elle est à la fois Renée la concierge que personne ne remarque, tant les bourgeois de gauche ou de droite (vrais et aspirants) de son immeuble sont frappés de cécité sociale (regardons nous les pauvres ?) et Paloma, une jeune surdouée de 12 ans dont nous partageons les réflexions sur l’existence. Ce roman nous rappelle, que nous pouvons nous aussi être ankylosés par nos préjugés étriqués et les conventions sociales.
Morceaux choisis (attention c’est plutôt long) :
« Ainsi, comment se passe la vie ? Nous nous efforçons bravement, jour après jour, de tenir notre rôle dans cette comédie fantôme. En primates que nous sommes, l’essentiel de notre activité consiste à maintenir et entretenir notre territoire de telle sorte qu’il nous protège et nous flatte, à grimper ou ne pas descendre dans l’échelle hiérarchique de la tribu et à forniquer de toutes les manières que nous pouvons – fût-ce en fantasme – tant pour le plaisir que pour la descendance promise. Aussi usons-nous une part non négligeable de notre énergie à intimider ou séduire, ces deux stratégies assurant à elles seule la quête territoriale, hiérarchique et sexuelle qui anime notre conatus. Nous parlons d’amour, de bien et de mal, de philosophie et de civilisation et nous accrochons à ces icônes respectables comme la tique assoiffée à son gros chien tout chaud.
Parfois, cependant, la vie nous apparaît comme une comédie fantôme. Comme tirés d’un rêve, nous nous regardons agir et, glacés de constater la dépense vitale que requiert la maintenance de nos réquisits primitifs, nous nous demandons avec ahurissement ce qu’il en est de l’Art. Notre frénésie de grimaces et d’œillades nous semble soudain le comble de l’insignifiance, notre petit nid douillet, fruit d’un endettement de vingt ans, une vaine coutume barbare, et notre position dans l’échelle sociale, si durement acquise et si éternellement précaire, d’une frustre vanité. Quant à notre descendance, nous la contemplons d’un œil neuf et horrifié parce que, sans les habits de l’altruisme, l’acte de se reproduire paraît profondément déplacé. Ne restent que les plaisirs sexuels ; mais entraînés dans le fleuve de la misère primale, ils vacillent à l’avenant, la gymnastique sans l’amour n’entrant pas dans le cadre de nos leçons bien apprises.
L’éternité nous échappe.
Ces jours-là, où chavirent sur l’autel de notre nature profonde toutes les croyances romantiques, politiques, intellectuelles, métaphysiques et morales que des années d’instruction et d’éducation ont tenté d’imprimer en nous, la société, champ territorial traversé de grandes ondes hiérarchiques, s’enfonce dans le néant du Sens. Exit les riches et les pauvres, les penseurs, les chercheurs, les décideurs, les esclaves, les gentils et les méchants, les créatifs et les consciencieux, les syndicalistes et les individualistes, les progressistes et les conservateurs ; ce ne sont plus qu’hominiens primitifs dont les grimaces et sourires, démarches et parure, langage et codes, inscrits sur la carte génétique du primate moyen ne signifient que cela : tenir son rang ou mourir.»
« Quelle est cette guerre que nous menons, dans l’évidence de notre défaite ? Matin après matin, harassés déjà de toutes ces batailles qui viennent, nous reconduisons l’effroi du quotidien, ce couloir sans fin qui, aux heures dernières, vaudra destin d’avoir été si longuement arpenté. Oui, mon ange, voici le quotidien : maussade, vide et submergé de peine. Les allées de l’enfer n’y sont point étrangères ; on y verse un jour d’être resté là trop longtemps. D’un couloir aux allées : alors la chute se fait, sans heurt ni surprise. Chaque jour nous renouons avec la tristesse du couloir et, pas après pas, exécutons le chemin de notre morne damnation. »
Enjoy!
Si vous habitez le 7 rue de Grenelle dans le très chic quartier arrondissement de Paris, alors il ne vous a jamais traversé l’esprit que votre concierge que vous prenez de haut et sur lesquels vous avez des a priori puissent être un être humain doué d’une intelligence et d’une culture rares. Voilà un livre découvert au hasard d’une conversation avec un inconnu (ne vous imaginez rien) et qui m’a fait autant réfléchir sur moi-même et rire sur la nature humaine, que je vous recommande chaudement. Muriel Barberry signe là un roman fort ; elle est à la fois Renée la concierge que personne ne remarque, tant les bourgeois de gauche ou de droite (vrais et aspirants) de son immeuble sont frappés de cécité sociale (regardons nous les pauvres ?) et Paloma, une jeune surdouée de 12 ans dont nous partageons les réflexions sur l’existence. Ce roman nous rappelle, que nous pouvons nous aussi être ankylosés par nos préjugés étriqués et les conventions sociales.
Morceaux choisis (attention c’est plutôt long) :
« Ainsi, comment se passe la vie ? Nous nous efforçons bravement, jour après jour, de tenir notre rôle dans cette comédie fantôme. En primates que nous sommes, l’essentiel de notre activité consiste à maintenir et entretenir notre territoire de telle sorte qu’il nous protège et nous flatte, à grimper ou ne pas descendre dans l’échelle hiérarchique de la tribu et à forniquer de toutes les manières que nous pouvons – fût-ce en fantasme – tant pour le plaisir que pour la descendance promise. Aussi usons-nous une part non négligeable de notre énergie à intimider ou séduire, ces deux stratégies assurant à elles seule la quête territoriale, hiérarchique et sexuelle qui anime notre conatus. Nous parlons d’amour, de bien et de mal, de philosophie et de civilisation et nous accrochons à ces icônes respectables comme la tique assoiffée à son gros chien tout chaud.
Parfois, cependant, la vie nous apparaît comme une comédie fantôme. Comme tirés d’un rêve, nous nous regardons agir et, glacés de constater la dépense vitale que requiert la maintenance de nos réquisits primitifs, nous nous demandons avec ahurissement ce qu’il en est de l’Art. Notre frénésie de grimaces et d’œillades nous semble soudain le comble de l’insignifiance, notre petit nid douillet, fruit d’un endettement de vingt ans, une vaine coutume barbare, et notre position dans l’échelle sociale, si durement acquise et si éternellement précaire, d’une frustre vanité. Quant à notre descendance, nous la contemplons d’un œil neuf et horrifié parce que, sans les habits de l’altruisme, l’acte de se reproduire paraît profondément déplacé. Ne restent que les plaisirs sexuels ; mais entraînés dans le fleuve de la misère primale, ils vacillent à l’avenant, la gymnastique sans l’amour n’entrant pas dans le cadre de nos leçons bien apprises.
L’éternité nous échappe.
Ces jours-là, où chavirent sur l’autel de notre nature profonde toutes les croyances romantiques, politiques, intellectuelles, métaphysiques et morales que des années d’instruction et d’éducation ont tenté d’imprimer en nous, la société, champ territorial traversé de grandes ondes hiérarchiques, s’enfonce dans le néant du Sens. Exit les riches et les pauvres, les penseurs, les chercheurs, les décideurs, les esclaves, les gentils et les méchants, les créatifs et les consciencieux, les syndicalistes et les individualistes, les progressistes et les conservateurs ; ce ne sont plus qu’hominiens primitifs dont les grimaces et sourires, démarches et parure, langage et codes, inscrits sur la carte génétique du primate moyen ne signifient que cela : tenir son rang ou mourir.»
« Quelle est cette guerre que nous menons, dans l’évidence de notre défaite ? Matin après matin, harassés déjà de toutes ces batailles qui viennent, nous reconduisons l’effroi du quotidien, ce couloir sans fin qui, aux heures dernières, vaudra destin d’avoir été si longuement arpenté. Oui, mon ange, voici le quotidien : maussade, vide et submergé de peine. Les allées de l’enfer n’y sont point étrangères ; on y verse un jour d’être resté là trop longtemps. D’un couloir aux allées : alors la chute se fait, sans heurt ni surprise. Chaque jour nous renouons avec la tristesse du couloir et, pas après pas, exécutons le chemin de notre morne damnation. »
Enjoy!
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